Rêverais -

Il y aurait une petite maison avec un jardin.
Suffisamment grande pour y vivre à plusieurs et y avoir chacun son espace. Suffisamment petite pour qu’on puisse l’appeler « maisonnette ».
Maisonnette, c’est joli. Charmant.

A l'intérieur, il y aurait du vieux parquet qui craque et une vieille cuisine équipée. Nous pourrons y faire cuire des gâteaux les dimanches après-midi. Ça donnerait un air de campagne.
D’enfant.

Il y aurait aussi des plantes vertes et des tables en bois. Des bocaux en verre et des boîtes en fer. Une baignoire dans la salle de bain. Un grand miroir dans l’entrée. Dans ma chambre aussi. Un escalier puis l’intimité. Une cheminée. Un grand canapé et plusieurs fauteuils. Une grande table et plusieurs chaises. De la musique. De la lumière.
Un gros chat.

A l’extérieur, il y aurait des arbres fruitiers, un potager mal arrangé et de l’herbe mal taillée. Il y aurait un cabanon dans le fond du jardin. Non. Une grange.
Une grange illuminée.
Un sol noir, des murs blancs, des tableaux lors des expositions.
Papa serait venu nous aider à tout repeindre, tout installer. Les projecteurs pour la lumière, les enceintes pour le son, les crochets pour les cadres.
L’été, on sortirait un bar en bambou lors des vernissages ou des représentations. L’année, ceux qui le voudraient pourraient venir y répéter.
On y mènerait des ateliers.

Des chaises longues.
Du thé glacé.
Des livres entassés.



Et ainsi, vraiment, le temps serait bon.

BLABLA -

B : - Voilà, c’est moi qui commence !
A : - Qui commence quoi ?
B : - Le dialogue.
A : - Ah !
B : - Oui, c’est toi.
A : - Mais, non, tu viens de dire que c’était toi.
B : - Non, ou plutôt, oui : c’est moi qui commence le dialogue, mais tu es bien A.
A : - Aaaaah !
B : - Oui, si tu veux, comme ça on peut imaginer que tu as des enfants.
A : - Tu trouves que j’ai grossi.
B : - Mais non voyons !
A : - Je ne le prends pas si mal, va, ne t’inquiète dont pas.
B : - Oh et puis, comme tu veux.
A : - Voilà.
B : - Voilà.
A : - Bien.
B : - BIEEEN !
A : - A quoi penses-tu ?
B : - A rien, je regarde, c’est joli.
A : - Quoi donc ?
B : - Nous deux s’enchainant.
A : - Si c’est ta façons de me faire des avances, elle est mauvaise. Surtout après m’avoir parlé de mes rondeurs.
B : - Tais-toi ! Tu parles trop, ça y est, tu as brisé la jolie chaîne. C’est malin !
A : - Tu devrais dormir, ou arrêter de dormir. Boire du café ou arrêter d’en boire. Tu dérailles, vieux !
B : - Tu continues ! Mais tais-toi, tais-toi, tais-toi !
A : - Puisque c’est ce que tu veux.
B : - Merci.
A : - …
B : - C’est pas mal !
A : - ..
B : - Nous avons un bon rythme !
A : - .
B : - Chouette, c’est une belle œuvre que nous formons à nous deux !

B : - Ah, non A ! Tu brises à nouveau la chaîne.

B : - Ne te vexe s’il te plaît, je suis désolé. Je te demande d’excuser mon goût pour le beau.
A : - Des fois, tu es trop dur.
B : - Tu sais, je viens d’avoir une idée !
A : - Laquelle ?
B : - On devrait faire venir L, et notre conversation deviendrait un vrai BLABLA !
A : - Si tu veux.
B : - Je suis content que tu acceptes ! L, ramène-toi par ici !
L : - Pour vous servir, messieurs !
A : - Dois-je intervenir maintenant ?
B : - Toujours après L ! Et moi, …
L : - … Toi toujours après A, et moi, toujours avant lui, mais après toi.
A : - Vous êtes fatigants les gars. Je m’ennuie. Et puis, comment vont-ils faire, eux, pour
B : - STOP ! Ouf, c’était moins une !
L : - Pour quoi ?
A : - Pour nous jouer ? Ca vous fait peut-être rire, vous, mais moi je veux être écris pour
B : - STOP ! Ouf, c’était moins une !
L : - Pour quoi ?
A : - Pour être joué. Être lu ne me suffit pas ! Nos tirets indiquent l'invitation au jeu.
B : - Et bien, moi j’aime bien la beauté visuelle de la chose et ça me suffit.
L : - Et moi je trouve ça amusant, rigolo, mais c’est vrai que nous risquons de finir par
A : - Par nous ennuyer, à force de BLABLA.
B : - Oh, les gars, vous n’êtes pas drôles ! Encore un peu.
L : - Non. Et si nous décidons de nous taire, ton BLABLA ne peut plus être.
A : - Il n’est déjà rien, nous ne parlons de rien depuis le début !
B : - Et bien, je le trouve joli, moi, ce vide.
L : - Il nous use, nous. Notre conversation fût un véritable BLABLA. A, c’est à toi de finir.
A : - Je vais finir, et en beauté, pour votre bon plaisir, monsieur B ! En beauté, parce que je vais dépasser mon nombre de caractères autorisés. En beauté, parce que c’est moi qui dois finir, sinon, vous allez trouver ça laid, monsieur B : un BLABLAB, c’est moche, c’est laid, tout de suite, un BLABLAB, c’est repoussant, et puis, ça vous rebute, vous, un BLABLAB ! Mais je vais vous dire, moi, ce que j’en pense de tout ça : vous pensiez que c’était joli de créer un BLABLA vertical ? Vous pensiez que c’était novateur de discuter de cette forme ainsi créée par nous ? Mais non, monsieur B, non : parler de rien, ça a déjà était fait, et je pense d’ailleurs que Monsieur Beckett – qui, lui, mérite une majuscule à son M et une suite à son B – serait sans doute vexé s’il lisait notre vide ! Et puis, vous pensiez pouvoir faire le beau, le Beau B, en commençant ce BLABLA ?! Mais, voilà, vous avez tout perdu mon pauvre b, parce que je n’ai peut-être pas commencé, moi, première lettre de l’alphabet, et vous m’avez retourné : mais voilà, voilà : je termine, je finis, je conclue, et en Beauté, s’il vous plait ! Ou, plutôt, non : je mets un terme à ce rien, et Admirablement. 

The End -

A : - Fin
B : - Ouais j'ai un petit creux moi aussi !
A : - Non, fin, fin de mon bouquin
B : - Ah ! Il t'a plu ?
A : - Oui, super !
B : - Pourquoi l'as-tu terminé alors ?
A : - Ben parce qu'il m'a plu !
B : - Oui, mais maintenant tu l'as fini, c'est triste, non ?
A : - Non, c'était plutôt une fin heureuse
B : - Je trouve ça encore plus triste …
A : - J'comprends rien !
B : - Quand un livre me plaît, je ne veux pas arriver à la fin. La fin, ça veut dire que c'est fini, tu vois ?
A : - Oui, par définition, oui
B : - Voilà
A : - Donc tu ne termines jamais les histoires qui te plaisent ?
B : - Voilà
A : - Mais t'es pas frustrée ?
B : - Non, au contraire ! C'est arrivé dernière page, dernière ligne, dernier mot, dernier point. Le point final … Alors lui, j'peux pas le sentir, pas le piffer !
A : - T'as peur de la fin ?
B : - Mais non ! Qu'est-ce que tu vas inventer ! Et puis on a tout ce qu'il faut dans le placard !
A : - Mais elle ne pense qu'à manger, c'est pas possible ! La fin de ton livre, la fin de l'histoire, la fin … du monde !
B : - Aaah, euh … Non ! J'aime faire durer ce qui est bon, c'est tout
A : - Donc tu ne connais jamais la fin des histoires que tu as aimé ?
B : - C'est ça !
A : - Mais c'est complètement con !
B : - Non, quand l'histoire me manque, je peux la reprendre, là où j'ai laissé le marque-page. Souvent, je m'arrête une dizaine de pages avant la fin.
A : - Si on pouvait faire ça avec tout ...
B : - Quoi ?
A : - Je dis que si tout était aussi simple, ça serait vraiment chouette !
B : - Oui, c'est vrai. Mais tu peux commencer avec un livre, c'est un bon début
A : - Début sans fin !
B : - Oui !
A : - Bon, je ferai peut-être ça la prochaine fois qu'un livre me plaira
B : - A la bonne heure ! - J'ai la dalle quand même
A : - Mais, j'ai une question …
B : - Je t'écoute
A : - Quand tu reprends le livre, plus tard, tu le finis cette fois-ci ?
B : - Surtout pas ! Ça gâcherait tout le travail !
A : - Ah !
B : - Tu prends le livre tant aimé, que tu as pris le temps de désirer à nouveau, tu l'ouvres délicatement à la page du marque-page, tu remontes une ou deux pages avant pour te remettre dedans, pour lui être entièrement disponible et tu savoures. Une page avant la fin, tu stoppes. Des fois, c'est brutal, mais il le faut. Enfin, tu redéposes le marque-page où tu l'avais laissé avant que tu remettes le nez dans cette histoire
A : - Oh ! D'accord
B : - A votre service ma chère ! - Bon j'ai vraiment VRAIMENT l'estomac qui réclame là
A : - Fin de la discussion, à table.
B : - Non, attends ! Mets un marque-page là, ici, maintenant. J'ai aimé cette discussion
A : - Comment je fais ?
B : - Arrêtes de causer
A : - On pourrait fabriquer un marque page pour histoires réelles !
B : - Pas con !
A : - Maintenant ?
B : - Oui, mets de la musique, La Belle au bois, t'as ?
A : - Affirmatif !
 
A lance la musique de GiédRé et ramène de grands trombones pour fabriquer des marques-pages colorés, qu’elles s’attachent l’une à l’autre et à quelques personnes du public.

A+B : - « Toutes les histoires n'ont pas toutes une belle fin »
A : - Parfait ! Je te fais à manger, depuis le temps que tu cries famine !
B : Ok ! Je te rejoins ! - Des fois, il vaut mieux mettre un marque-page plutôt que de mal terminer une histoire

B dépose un petit pot avec les marques-page sur le bord de la scène.

B : - Ce soir, nous pouvons tous en mettre un pour ne jamais terminer la notre.

K-put -

- Comment tu fais, toi, quand tu es trop en colère ?
- Je marche. Je crie aussi. Dans la rue ou dans mon oreiller. Ca ne marche pas souvent.
- Moi je tape.
- La personne qui t’énerve ?
- Non, mon mur. Mais ça fait mal, je dois dire. Alors je suis encore plus en colère, parce que je me suis fait mal toute seule.
- Donc tu tapes encore plus fort, une nouvelle fois ?
- Oui, mais dans mon matelas, c’est plus moelleux.
- Ah. Mais ça n’a pas le même effet.
- En effet.
- Ou je prends une douche brulante.
- Oui, il faut baisser progressivement la pression d’eau froide.
- Jusqu’à ne plus sentir que c’est chaud.
- C’est comme ça que je fais, oui.
- Ou je prends un verre d’alcool et plusieurs cachets avec : pour tous les maux.
- Envie de vomir. Envie de mourir.
- Maux de tête. Maux d’estomac.
- Douleurs musculaires. Douleurs abdominales.
- Ca ne fonctionne pas mal : ça assomme et finit, kaput, dodo. Fin des pensées.
- Ou je mords.
- C’est mauvais ça, faut pas. Ca fait mal.
- Comme le reste, non ?
- Exact, comme le reste. De toute façon, mal pour mal.
- Attrape ma main.
- Pour quoi faire ?
- Essayer.
- D'accord.
- On pourrait serrer très fort nos mains.
- Toi la mienne et moi la tienne.
- Jusqu'à ce que ça passe.
- Jusqu'à ce que ça passe.

Les Glaces à la vanille -

Lui est âgé, elle a vingt ans. Ils sont à un arrêt de bus, il fait beau temps et ils ont tous les deux des lunettes de soleil. Il a une casquette. Elle a un piercing sur la lèvre et un autre dans la narine.

Elle arrive, lui est déjà assis.


Lui :
- Il vient de partir.

Elle :
- Oui, j’ai hésité à courir après, et puis finalement, j’ai le temps.



Elle s’assoit à coté de lui.



Lui :
- Tant mieux. Je ne l’attends pas, moi. Je me repose.


Elle :
- Je vais faire pareil. Avec ce soleil, c’est agréable.


Silence.


Lui :
- Vous habitez le quartier ?


Elle :
- Pas du tout. Court silence. J’habite en centre ville.


Lui :
- Ah ! en centre ville.


Elle :
- Oui.


Silence plus long.


Lui :
- Que faites-vous dans la vie ?


Elle :
- Je suis étudiante.

Lui :
- Dans quel domaine ?

Elle :
- Le théâtre.

Lui :
- Oh ! c’est bien ça.

Elle :
- Oui.


Bref silence.


Lui :
- Sur le campus ?

Elle :
- Non, en centre ville.

Lui :
- D’accord.


Long silence.


Lui :
- Je ne sais pas tous les combien il passe, le bus.

Elle :
- Moi non plus.

Lui :
- Tous les quarts d’heure, sans doute.


Elle se lève et va regarder les horaires.


Lui :
- Ce n’est pas important, je ne prends pas le bus de toutes façons !

Elle :
- C’est bien ça : tous les quarts d’heure.

Lui :
- C’est bien ce que je pensais.


Long silence.


Lui :
- Il fait beau aujourd’hui.

Elle :
- Oui, vraiment beau. C’est agréable.

Lui :
- Vous avez bien fait de ne pas courir après votre bus : attendre au soleil, c’est mieux.

Elle :
- C’est vrai.


Silence. Il la regarde. Elle lui est toujours de profil.


Lui, en touchant sa propre lèvre :
- Ça ne vous fait pas mal ?

Elle, souriant :
- Non.


Elle se retourne vers lui, lui révélant son visage de face.


Elle :
- Celui qui fait le plus mal, c’est au nez.

Lui, grimaçant :
- Oh ! je ne l’avais pas vu celui-là. Ce n’est pas gênant, quand même ?

Elle :
- Absolument pas, non.

Lui :
- Je ne sais pas si j’aurais aimé que ma femme ait ça sur la bouche … ni dans le nez.

Elle :
- On ne me l’a jamais reproché.

Lui :
- Complimenté ?

Elle :
- Plutôt ça que le contraire, oui.

Lui :
- Ça doit faire partie de l’écart générationnel.

Elle :
- Sans doute. Je ne sais pas.


Silence.


Elle :
- Je n’aime pas trop l’idée que des personnes soient différentes, d’entrée de jeu, à cause de leurs âges.

Lui :
- Ça force pourtant la différence.

Elle :
- Pourtant, peut-être que vous, vous avez plus de points communs avec moi que quelqu’un de mon âge.

Lui :
- Peut-être. Je ne sais pas.

Elle :
- Qu’aimez-vous dans la vie ?

Lui, hésitant :
- J’aime les dimanches en famille, j’aime regarder Question pour un champion sur France 3 avant de manger et j’aime répondre aux questions avant les joueurs. Silence. Mais tout ça, c’était mieux quand Josy était encore là parce qu’elle faisait attention à ce que je n’ai pas froid devant ce téléviseur, parce qu’elle préparait le poulet-frites dominical pour les petits enfants et elle faisait attention à ce qu’il reste toujours leurs glaces préférées dans le réfrigérateur, sinon, elle en recommandait chez Thieriet pour eux. Nous ne mangions jamais de glace nous. A part les buches de Noël peut-être, mais je préfère celles avec la mousse au praliné.

Elle :
- Les glaces, elles sont à quoi ?

Lui :
- Je ne sais pas, je n’aime ça.

Elle :
- Ma Grand-mère, elle achète toujours nos glaces préférées aussi. Et puis des esquimaux à la vanille parce que ce sont les préférées de mon Grand-père. Il ne mange pas les notre, juste ses esquimaux à la vanille. Ce n’est pas toujours de chez Thieriet qu’elles viennent mais papi préfère les esquimaux à la vanille de chez Thieriet.

Lui :
- Il parait, oui, que les glaces de chez Thieriet ne sont pas mauvaises. Mais comme je n’aime pas les glaces … Non, ça me fait mal aux dents les glaces, c’est trop froid.

Elle :
- Avec mes cousines, on aime bien les glaces enrobées, avec un truc qui pétille sur la langue. On se fait écouter, comme ça. Elle se pense vers lui et entrouvre sa bouche sur son oreille. Et là, on entend bien que ça pétille.

Lui :
- Peut-être que si Josy m’avait fait gouter ces glaces, je les aurais aimé. Quel goût ont-elles ?

Elle :
- Elles ont goût de … c’est un mélange entre coca et fraise. Ou fruits rouges, peut-être.

Lui :
- J’aurai peut-être aimé le pétillant, mais pas le goût, c’est certain.

Elle :
- Dommage. Se sont de bonnes glaces.


Silence.


Lui :
- Et vous, qu’aimez-vous, à part les glaces pétillantes ?

Elle :
- J’aime bien être sur scène.

Lui :
- Ah ! d’où les études théâtrales !

Elle :
- Oui. Il n’y a pas de hasard là-dessus. J’aime jouer, apprendre des textes, être mise en scène. Je préfère jouer que mettre en scène. Mais j’aime bien aussi travailler avec des enfants : leur partager ce que j’aime, et qu’ils fassent pareil.

Lui :
- Il n’y avait pas d’enfant à l’arrêt de bus, donc vous m’avez pris moi !

Elle, riant :
- Haha ! Non, c’est vous qui m’avez adressé la parole en premier.

Lui :
- Certes, mais c’est vous qui m’avez demandé ce que j’aimais dans la vie.

Elle :
- Oui, vous m’avez dit une bêtise grosse comme le monde, sur les différences intergénérationnelles. Il fallait bien que je vous prouve que c’était une bêtise.

Lui :
- Vous trouvez que nous nous ressemblons ?!

Elle :
- Non, mais je vous aime bien.

Lui :
- Ah oui ?

Elle :
- Oui !


Silence. Elle se lève pour regarder à nouveau les horaires.


Lui :
- Il ne devrait plus tarder maintenant.

Elle :
- En effet, il arrive au loin, là bas. Je le vois.

Lui :
- Vous ne pouvez plus le rater maintenant.

Elle :
- Heureusement, ça fait un quart d’heure que je l’attends !

Lui :
- J’aimerai bien que vous le ratiez encore, je crois.

Elle :
- Ah oui ?

Lui :
- Oui.

Elle :
- Pourquoi ?

Lui :
- Parce que je vous aime bien aussi, je crois.

Elle :
- Vous voyez, l’âge ne met pas tant d’écart que ça. J’avais raison.

Lui :
- Peut-être.

Elle :
- Il arrive maintenant.


Elle se lève. Se retourne vers lui.


Elle :
- Mon grand-père, celui qui aime les esquimaux à la vanille, il est mort. J’aurais aimé qu’il n’aime pas les glaces comme vous, qu’il soit toujours là, et même comme vous, à l’arrêt de bus, sans attendre le bus. Comme vous.

Lui :
- Au revoir jeune fille.

Elle :
- Au revoir monsieur. Bonne journée.

Lui :
- Au plaisir.


Elle part, avec le bus.

Slip humide -

Tu vois, le polystyrène, c’est comme la neige qu’il tombait cette nuit là. Tu sais, quand on a des cadeaux, il y a du polystyrène dans le carton, et quand on frotte deux bouts ensemble, ça fait un bruit que je n’aime pas bien. Mais ça fait de la neige aussi. Alors, il y avait un géant qui frottait deux morceaux de polystyrène l’un contre l’autre au dessus de nous. Il s’amusait bien lui là haut, mais moi j’avais froid. Tu sais, quand on mange une glace à la pistache ou à la fraise – à la vanille aussi – et que la gorge devient toute froide, ben c’est comme ça que j’avais froid moi, sous la neige du géant.

Et puis on se promenait, il faisait nuit noire. Tu vois, si j’éteins la lumière : il faisait noir comme ça. Les petites étoiles, là haut, c’étaient les veilleuses du géant. Pour qu’il ait autant de veilleuses, je pense que ça devait être un géant qui a peur du noir. C’est bizarre un géant qui a peur du noir. Un grand monsieur comme lui ne devrait avoir peur de rien. Mais lui, avec ses veilleuses toutes allumées en même temps, c’était forcément un géant qui avait peur du noir.

Il y avait des voitures partout. Elles roulaient vite, Des fois, elles se cognaient contre d’autres voitures qui roulaient vite aussi, mais elles ne se faisaient jamais mal. Elles s’entrechoquaient sans jamais se faire de mal. Le petit garçon qui les conduisait n’a jamais du être une voiture pour les manipuler comme ça. Je n’aimerai pas être une des voitures de ce petit garçon là, moi. Ca doit faire mal d’être une voiture de ce petit garçon.

Il y avait de la musique, mais je ne sais pas si tout le monde l’entendait ou si ce n’était que moi. Je ne sais pas si le géant l’entendait, ni si le petit garçon qui bougeait les petites voitures l’entendait. C’était une jolie musique sans parole, comme ça « la lala la lala la lalalala la, la lala la lala, la lala lalala lala » (sur l’air de Once Upon a December). Tu ne la connais pas toi cette chanson. Elle est belle pourtant. Il faudrait que tu la connaisses. Elle venait d’une boîte à musique je crois. Je ne sais pas qui l’a remonté, la boîte à musique. C’était peut être moi … En tous cas, la boîte à musique, avec le polystyrène et les veilleuses du géant c’était beau.



Et puis il y a eu un grand CLAC ou CRAC, je ne sais plus bien. Mais c’était un grand et gros bruit qui fait mal aux oreilles, qui fait plus mal aux oreilles encore que deux bouts de polystyrène qui font la neige. Et puis la musique s’est accélérée d’un coup, et les voitures roulaient de plus en plus vite, et les veilleuses du géant se sont éteintes. Je ne voyais plus rien et j’avais peur je crois. Oui, j’avais peur c’est vrai. Il y a eu un deuxième bruit désagréable, mais il était lent et très long, comme un BIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIP, ou un MIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIC, je ne sais plus. C’était aigu et je n’aimais pas ce bruit, surtout que j’étais dans le noir. Là, les voitures ont disparues et la neige s’est arrêtée de tomber : le petit garçon était parti avec le géant. Ils m’ont laissé tout seul ici dans le noir. J’ai pleuré. Ben oui, j’avais peur je t’ai dit. J’avais peur, j’avais peur. J’ai crié mais personne ne m’entendait, et aucun son ne sortait de ma bouche. J’ai pleuré en criant et mes larmes ont mouillé mon pantalon.



Et la lumière s’est allumée.

La Ritournelle de Noël -

Noël.


Refrain identique : commencer par faire son sac, charger les cadeaux dans le coffre sans savoir si tout rentrera, prendre la route pour deux bonnes heures, arriver, retrouver la petite mamie et les tontons, aider à faire les toasts et à dresser la table, boire le champagne, prendre quelques photos pour immortaliser les instants, reprendre une ou deux coupes de champagne histoire de buller de l'intérieur, raconter les quelques nouveautés, manger les toasts, sortir les plateaux de fruits de mer toujours trop grands, demander la mayonnaise maison pour les crevettes ainsi que de l'aide pour casser les pattes de crabe ... Minuit approchant, commencer à chercher comment fonctionne le tourne disque pour écouter Tino Rossi chante Noël, le même tonton s'y atèle, finir par mettre en route le CD qui est toujours dans le lecteur CD, chanter le plus fort possible pour faire venir le faux Père-Noël (maintenant, tout le monde est au courant de l'embuscade) pendant que les adultes déposent les cadeaux sous le sapin moche, passer dans la cuisine pour les découvrir, le plus jeune fait la distribution et nous les ouvrons tous en même temps, nous remercions le "Père-Noël" en criant dans la cheminée en souvenir de ma bêtise enfantine passée d'une quinzaine d'années, ranger les papiers cadeaux et repasser à table alors que plus personne n'a faim. Ne plus manger grand chose en attendant la buche glacée aux fruits rouges et écouter les adultes parler politique ou autres. Manger la bûche et aller se coucher : à 3 heures du matin. Les adultes ne se coucheront qu'au petit matin.

Se réveiller en retard, se préparer très vite, prendre la route et recommencer le midi même de l'autre coté de la famille, avec les cousines cette fois-ci. Ouvrir les cadeaux, boire du champagne, manger les toasts et les fruits de mer, ne plus franchement manger le reste du repas en attendant la bûche, finir ce nouveau repas à 18 heures et reprendre la route.


Les couplets changent tout de même : cette année, il n'y avait pas de coulis pour la bûche glacée au fruits rouges.

Être gâtée. Attendre l'année prochaine, pour que tout se passe plus ou moins de la même façon. Ritournelle. Imperfections.


J'aime Noël, on peut le dire.